Recevoir un courrier d’un commissaire de justice (l’ancien huissier) pour une facture oubliée depuis des années. L’angoisse. La première question qui vous vient est : « Mais… il a encore le droit ? ». Vous vous demandez légitimement combien de temps un huissier peut réclamer une dette.
On entend tout et son contraire : 2 ans, 5 ans, 10 ans… La confusion est totale et joue souvent en faveur du créancier.
Pourtant, la loi est très claire. Ce n’est pas une question d’années « au hasard », mais une question de situation. La réponse change radicalement s’il y a eu un jugement ou non.
La plupart des gens ignorent la différence entre un « délai d’action » et un « délai d’exécution ». C’est cette nuance qui fait passer un délai de 2 à 10 ans. Démystifions ça, sans jargon inutile.
Les infos à retenir (si vous n’avez pas le temps de tout lire)
- ⚖️ Le délai de 10 ans est la règle d’or si un jugement a été rendu. L’huissier possède alors un « titre exécutoire » pour vous saisir.
- 🛒 Le délai de 2 ans s’applique à la plupart des dettes de consommation (crédit, facture mobile, électricité…) avant tout jugement.
- 🧑⚖️ Le délai de 5 ans est le délai « par défaut » pour les dettes civiles (loyers, charges, prêt entre particuliers…) avant jugement.
- ⚠️ Le piège : Reconnaître la dette (même par un simple e-mail proposant un échéancier) ou une action en justice interrompt la prescription et relance le compteur à zéro.
- 🚫 Si la dette est prescrite (le délai est passé et il n’y a pas eu de jugement), l’huissier ne peut plus vous forcer à payer. Vous devez contester par écrit.

Les délais clés : 2, 5 ou 10 ans, tout dépend s’il y a eu un jugement
Oubliez les « on-dit ». En droit français, il existe deux types de délais :
- La prescription de l’action : C’est le temps dont dispose le créancier pour vous poursuivre en justice (avant un jugement).
- La prescription de l’exécution : C’est le temps dont dispose l’huissier pour vous saisir (après un jugement).
C’est la différence fondamentale entre « réclamer » et « saisir ». Un huissier (commissaire de justice) qui agit sans jugement fait du recouvrement amiable. Un huissier qui agit avec un jugement fait du recouvrement forcé. D’ailleurs, il n’existe pas de montant minimum légal pour qu’un huissier intervienne, même si en pratique, les frais sont un enjeu.
Voici le tableau qui résume tout ce que vous devez savoir.
| Délai | Type de dette | Situation (La plus importante) | Le fondement légal |
|---|---|---|---|
| 10 ans | Toutes (conso, civile, etc.) | APRÈS un jugement. L’huissier possède un « titre exécutoire ». | Art. L111-4 (Code des procédures civiles d’exécution) |
| 2 ans | Dettes à la consommation | AVANT un jugement. (Facture mobile, crédit conso, électricité, achat…) | Art. L218-2 (Code de la consommation) |
| 5 ans | Dettes civiles / Droit commun | AVANT un jugement. (Loyers, charges de copro, prêt entre particuliers…) | Art. 2224 (Code civil) |
Le délai de 10 ans : le cas d’un titre exécutoire (jugement)
C’est le scénario le plus grave pour le débiteur et le plus simple à comprendre.
Si un créancier a engagé une procédure judiciaire contre vous et qu’un juge vous a condamné à payer, le créancier obtient un « titre exécutoire » (un jugement).
À partir du moment où ce jugement vous est signifié (remis officiellement), l’huissier dispose de 10 ans pour le faire exécuter.
Pendant ces 10 ans, il peut utiliser tous les moyens légaux de recouvrement forcé : saisie sur compte bancaire, saisie sur salaire, saisie de meubles…
C’est le délai le plus long et le plus courant lorsqu’on parle d’une action de saisie concrète. C’est le délai le plus long dont dispose un huissier pour réclamer une dette avec la force de la loi.
Le délai de 2 ans : combien de temps pour réclamer une dette à la consommation
C’est le cas le plus fréquent pour les « vieilles » factures.
Le Code de la consommation protège le consommateur avec un délai de prescription court. L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans (Art. L218-2).
Cela concerne :
- Les factures de téléphone, d’internet, d’électricité.
- Les crédits à la consommation.
- Les achats de biens mobiliers.
Concrètement : si votre opérateur ne vous a pas réclamé (ou poursuivi en justice) le paiement d’une facture pendant 2 ans, il ne peut plus le faire. La dette n’est pas effacée, mais elle devient « naturelle » : le créancier ne peut plus obtenir un jugement pour vous forcer à payer.
Si une société de recouvrement ou un huissier (sans jugement) vous contacte pour une facture de 2018, la dette est très probablement prescrite.
Le délai de 5 ans : le cas des dettes civiles (loyers, entre particuliers)
Si votre dette n’est ni une dette de consommation (2 ans), ni une dette fiscale (délais spécifiques), elle tombe dans le « droit commun ».
Le délai de prescription de droit commun est de 5 ans (Art. 2224 du Code civil).
Cela s’applique principalement :
- Aux loyers impayés et charges de copropriété.
- Aux reconnaissances de dette entre particuliers.
- Aux factures entre professionnels (dettes commerciales).
Encore une fois, il s’agit du délai pour agir en justice. Si votre propriétaire ne vous a pas poursuivi pour un loyer impayé de mars 2017 avant mars 2022, il ne peut plus obtenir de jugement pour cette mensualité précise.
Attention : l’interruption du délai de prescription (le piège à éviter)
C’est l’erreur que commettent 90% des débiteurs.
Vous devez comprendre que le délai de prescription d’une dette n’est pas un simple compte à rebours passif. Certains événements peuvent l’interrompre et… remettre le compteur à zéro.
Il y a deux façons principales d’interrompre la prescription.
1. L’action en justice
C’est logique. Si le créancier engage une procédure (une assignation au tribunal) avant la fin du délai de 2 ou 5 ans, le chrono est stoppé. Si le juge lui donne raison, un nouveau délai de 10 ans (celui de l’exécution) commence.
2. La reconnaissance de dette (le vrai piège)
C’est le plus dangereux. Le simple fait de reconnaître que vous devez l’argent interrompt la prescription et fait repartir le délai initial (de 2 ou 5 ans) pour sa totalité.
Qu’est-ce qu’une « reconnaissance » ?
- Payer un acompte : Verser même 10 € sur une vieille dette, c’est reconnaître qu’elle est due.
- Demander un délai de paiement : Envoyer un e-mail du type « Je ne peux pas payer maintenant, pouvez-vous me faire un échéancier ? » est une reconnaissance de dette.
- Signer un moratoire.
C’est pour cela que les agences de recouvrement sont si insistantes : elles n’ont pas besoin que vous payiez la totalité, elles ont juste besoin que vous « mordiez à l’hameçon » pour relancer un délai qui était peut-être éteint.

Que faire si un huissier vous réclame une dette qui semble prescrite ?
Vous savez maintenant qu’un huissier qui réclame une dette n’a pas tous les droits. Votre réaction doit être méthodique.
- Ne paniquez pas. Le courrier est souvent impressionnant, c’est fait pour.
- Ne payez rien. Pas même un euro. Payer, c’est reconnaître la dette et annuler la prescription.
- Ne reconnaissez rien. Ne répondez pas au téléphone ou par e-mail « je vais voir », « je ne peux pas payer pour l’instant ».
- Exigez les preuves. Répondez par lettre recommandée (LRAR) en demandant deux choses : la copie du titre exécutoire (le jugement) qui justifie sa demande, et le décompte détaillé de la créance.
- Analysez la réponse :
- Il n’y a pas de titre exécutoire (jugement) : La dette est une simple facture. Vérifiez le délai (2 ans pour conso, 5 ans pour civil). Si le délai est dépassé, la dette est prescrite.
- Il y a un titre exécutoire : Vérifiez la date de signification du jugement. Si elle date de plus de 10 ans, l’action de l’huissier est prescrite.
- Contestez (si prescrit) : Si vous êtes dans votre droit, envoyez une nouvelle LRAR en invoquant la prescription (par exemple, « conformément à l’article L218-2 du Code de la consommation, la créance est prescrite depuis le [DATE] »).
Vous l’avez compris, la question n’est pas seulement combien de temps un huissier peut réclamer une dette, mais plutôt sur quelle base il la réclame. Un huissier sans jugement est limité par les délais de 2 ou 5 ans pour vous poursuivre. Un huissier avec un jugement a 10 ans pour vous saisir. Connaître cette distinction est votre meilleure défense pour ne pas payer une créance légalement éteinte.
Questions fréquentes
Un huissier peut-il réclamer une dette 20 ans après ?
Oui, c’est possible mais très rare. Le délai de 10 ans pour exécuter un jugement peut lui-même être interrompu par un acte d’exécution (par exemple, une tentative de saisie infructueuse). Dans les faits, si la dette date de 20 ans et qu’il n’y a jamais eu de jugement, elle est prescrite.
Quelle est la différence entre un huissier et une société de recouvrement ?
Une société de recouvrement n’a aucun pouvoir légal. Elle ne peut que vous appeler, envoyer des courriers ou des e-mails (recouvrement amiable). Un huissier (Commissaire de justice) est un officier ministériel qui peut, s’il a un jugement, procéder à une exécution forcée (saisie). Cette action a évidemment un coût réglementé et ne peut se faire sans titre.
Est-ce que je risque la prison si je ne paie pas une dette civile ?
Non. La « contrainte par corps » (prison pour dettes) n’existe plus en droit civil ou commercial français. Vous risquez une saisie de vos biens, de votre salaire ou de vos comptes, mais pas la prison. Cela soulève d’ailleurs la question de ce que peut faire un huissier face à une personne non solvable.
Mon e-mail « je vais payer » relance-t-il vraiment le délai ?
Absolument. Un écrit, même un simple e-mail, où vous admettez devoir la somme ou demandez un délai, est considéré par les tribunaux comme une reconnaissance de dette. Cela interrompt la prescription et fait repartir le compteur à zéro. C’est le piège à éviter à tout prix.

